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La détresse psychologique gagne du terrain

La détresse psychologique gagne du terrain

Source: La voix de l’est

 

Selon des statistiques de l’Institut national de la santé publique du Québec, à peu près 15 % des Québécois rapportent vivre de la détresse psychologique depuis le début de la crise sanitaire, soit environ sept fois plus qu’en temps normal. Et plusieurs intervenants de la région s’inquiètent de cette tendance. 

« Le niveau de détresse est à la hausse chez pratiquement tout le monde, peu importe la couche de la société dans laquelle ces gens se trouvent », observe Catherine Perreault, directrice générale de Entrée chez soi Brome-Missisquoi, un organisme qui offre plusieurs services, dont du soutien et de l’accompagnement aux personnes avec des problématiques de santé mentale.

« Que ce soit en raison d’une perte d’emploi, de la peur de contracter la maladie ou de la frustration causée par les mesures sanitaires, presque tout le monde à un certain point ressent de la colère, de la peine ou de l’anxiété, poursuit l’intervenante. Ce sont des émotions que certaines personnes ne savent pas comment gérer et qui s’accompagnent parfois de honte. Alors plutôt que d’aller chercher de l’aide, elles essaient de cacher qu’elles ne vont pas bien. »

Devenu directeur général de L’Éveil Brome-Missisquoi au tout début de la pandémie, Thimothy Wisdom, qui oeuvre au sein de l’organisme depuis une douzaine d’années, constate également la même chose. « Parce que parfois, la personne nous dit que tout va bien au téléphone et on se rend compte que ce n’est pas le cas quand on la rencontre », note-t-il, relevant l’importance de maintenir des interventions en face à face.

La clientèle masculine, en particulier, est moins encline à s’ouvrir, indique-t-il, et c’est encore plus le cas lorsque les interventions se déroulent au téléphone. « C’est plus difficile pour les hommes de se confier de cette façon », dit-il.

 

Hausse de la demande

La demande pour des services de soutien a crû au sein de cet organisme de réinsertion socioprofessionnelle et de soutien psychologique, si bien que la parité entre les hommes et les femmes parmi la clientèle a été atteinte pour la première fois en 26 ans d’existence durant la pandémie. « On a beaucoup d’hommes aussi qui viennent d’abord nous rencontrer pour une problématique liée à l’emploi, et c’est en passant par là qu’on arrive à les aider davantage au niveau de la santé mentale », explique M. Wisdom.

« Je n’ai jamais fait autant appel à mes partenaires et à mon réseau. On met toutes les ressources qu’on a pour aider les gens et mon équipe accomplit de petits miracles toutes les semaines, poursuit-il. On n’a pas encore de liste d’attente. On gère en fonction des priorités, mais on est capables de répondre à tout le monde, pour le moment. »

Les femmes ne sont pas en reste. « Ça ne va pas en s’améliorant, relève Sophia Cotton, coordonnatrice chez Entr’Elles, un centre pour les femmes offrant divers services. On remarque que la moyenne d’âge pour l’utilisation de nos services, particulièrement l’hébergement, a diminué de beaucoup. Les femmes vivent durement les contrecoups de la pandémie ; elles sont plus émotives et représentent une grande partie des travailleurs de la santé et du milieu communautaire, deux secteurs fortement sollicités en temps normal, et surchargés depuis l’arrivée de la pandémie. Quand elles ont en plus des enfants qui étudient à la maison et qu’elles s’inquiètent pour d’autres proches, leur charge mentale est décuplée. »

Les besoins sont à ce point grands que l’organisme a doublé le nombre d’ateliers de soutien à l’attention de sa clientèle féminine pour desservir davantage de personnes. « On y propose des stratégies pour développer sa résilience et pour s’adapter, prendre soin de soi et de sa santé mentale », explique la coordonnatrice. Un service de clavardage en ligne sera également bientôt implanté sur le site web de l’organisme pour permettre à des femmes de se confier, et ce, aussi bien le jour que le soir et les fins de semaine.

Le clavardage est aussi fort utilisé par les jeunes qui vivent mal la pandémie, relève Lorraine Deschênes, directrice intérimaire du Centre de prévention du suicide (CPS) Haute-Yamaska. « Les sites de clavardage et les lignes comme Tel-Jeunes et Jeunesse j’écoute sont débordés », dit-elle.

Au CPS, le volume d’appels n’a pas doublé depuis le début de l’année, bien qu’il ait augmenté et soit demeuré élevé depuis le début de la deuxième vague de la pandémie, à l’automne. « Les besoins sont très grands et beaucoup de gens, quand ils finissent par nous appeler, sont allés au bout de leurs propres ressources », constate Mme Deschênes.

 

Résilience et débrouillardise

« Tout le monde est affecté par ce qui se passe, pas seulement les gens qui avaient déjà des problématiques de santé mentale avant la pandémie, rappelle Joseph-Anne St-Hilaire. On vit tous de l’anxiété, de la peur, de l’isolement, de la tristesse, de la colère et de l’incompréhension en ce moment. Même que je dirais que la situation nous a permis de voir à quel point nos gens sont résilients. »

À L’Autre Versant, l’organisme d’accompagnement pour les personnes souffrant de maladie mentale où elle est directrice générale, le boom de demandes attendu au cours des dernières semaines ne s’est pas concrétisé. « On s’attendait à des débordements et des hospitalisations ; il y en a eu un peu, mais pas autant qu’on pensait », indique Mme St-Hilaire.

« C’est certain que la situation joue sur l’anxiété et que ceux qui en souffraient déjà sont aussi touchés. Mais on a réalisé que certains vivent mieux que d’autres ce qui se passe, notamment parce que ce sont des personnes solitaires, qui étaient déjà habituées de vivre seules. Pour elles, ça semble être un moins grand bouleversement de leur quotidien », poursuit la directrice, qui insiste néanmoins sur le fait qu’on ne peut pas comparer la détresse psychologique momentanée liée à la pandémie aux souffrances quotidiennes d’une personne qui vivra une problématique de santé mentale tout au long de sa vie. « C’est beaucoup plus lourd », note-t-elle.

Mme St-Hilaire constate cependant que ceux qui bénéficiaient déjà des services de son organisme et d’autres du réseau communautaire de la région semblent mieux outillés pour affronter la crise. « Ils savent déjà où aller chercher de l’aide, c’est un gros plus », estime la directrice.

M. Wisdom en a lui aussi été témoin. « Beaucoup de nos membres connaissent déjà les ressources qui sont à leur disposition, ça leur donne des forces et un avantage, constate-t-il. D’une certaine façon, ils sont mieux équipés pour passer à travers la crise parce qu’ils vivent déjà l’adversité au quotidien. C’est peut-être plus difficile pour monsieur et madame Tout-le-Monde de se retourner et de savoir où aller demander de l’aide si c’est la première fois qu’ils en ont besoin. »

« On remarque aussi que les membres s’entraident entre eux, qu’ils gardent le contact et qu’ils se soutiennent. Comme les personnes seules ont le droit de se voir, on a fait des jumelages pour les aider à briser l’isolement pendant la pandémie. Il y a de belles amitiés qui sont nées de ça », ajoute-t-il.

Catherine Perreault croit que les effets néfastes de la pandémie sur le moral des Québécois se feront ressentir longtemps après la fin de ce triste épisode de notre existence. « Quand la pandémie va commencer à se terminer et qu’on va renouer avec une certaine normalité, qui ne sera pas la normalité qu’on connaissait avant, prévoit-elle. C’est là qu’on va être encore plus en demande, parce que ce ne sera pas tout le monde qui sera capable de s’adapter. »

« Là, ils sont dans une bulle qui subit énormément de pression. À force d’en appliquer, elle finira peut-être par éclater », ajoute-t-elle

 

LE COUVRE-FEU, LA CERISE SUR UN SUNDAE INDIGESTE

De toutes les mesures sanitaires décrétées par Québec, l’imposition du couvre-feu, début janvier, est celle qui en aurait rajouté une couche pesante sur les épaules de la population, au point où cette mesure constituerait le point de bascule pour plusieurs personnes.

« Pour beaucoup, le couvre-feu a été la goutte de trop, relate Catherine Perreault, directrice de Entrée chez soi Brome-Missisquoi. Ça a mené à une dégradation de l’autogestion émotive. Les gens se sentent perdus à travers les mesures, ce n’est pas toujours clair pour eux. »

« Beaucoup de contraintes me semblent incohérentes ou injustifiées, et ce sont celles-là qui m’atteignent le plus, confirme Sébastien*. Ne pas pouvoir voir des gens dehors alors que la science nous dit pour l’instant que ce n’est pas un problème. Le manque de légitimité scientifique pour l’imposition du couvre-feu. Et oui, je comprends que l’idée est pour empêcher les gens d’aller chez d’autres gens le soir, mais ça use quelqu’un qui respecte les mesures et qui veut aller prendre l’air tout en sachant qu’aller prendre l’air seul ou en marchant avec quelqu’un n’aura pas aucun impact sur la situation dans les hôpitaux. »

Le Granbyen vit très mal l’isolement, seul dans son appartement d’une pièce et demie. « Mon moral, ça monte et ça descend, confie-t-il. C’est pire depuis le reconfinement du début janvier avec l’ajout de la symbolique du couvre-feu. Je vis seul et je suis habitué à être relativement solitaire l’hiver, mais tout ça me fait réaliser à quel point j’étais nourri de mes contacts sociaux. Ça fait long, longtemps, et ça pèse sur le moral. »

Pour Sébastien, le manque de contacts humains l’entraîne dans un « cercle vicieux » qui affecte sa motivation à poursuivre ses activités quotidiennes et ses loisirs, ce qui le déprime davantage. « Alors, je m’empêche de faire des choses, pour finalement réaliser que ça ne m’aide pas plus. Ça, ça use. Ça me demande beaucoup de jus de ne pas sombrer dans cette spirale », indique celui qui consulte néanmoins un thérapeute de manière virtuelle, à l’occasion.

Julie*, elle, trouve aussi le temps long. « Avec le couvre-feu, je me sens comme en prison », révèle celle qui soigne actuellement une dépression, causée par un arrêt de travail et amplifiée par la pandémie. 

*Prénoms fictifs